Le jeune gars
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Photographe Loïc S GV |
Quittant l’agglomération et loin de la circulation, il se
sentait libéré des bruits qui l’étourdissait. Vers le midi il a commencé à
avoir faim et se dirigea au bistrot d’un village de province. Assis devant sa
table il commanda le plat du jour et en attendant il observa avec curiosité les
paroissiens autour de lui. Une ambiance lourde le gêna. Tout le monde était
concentré sur son assiette sans croiser de regard entre eux. Il demanda à la
serveuse s’il pouvait mettre un peu de musique. La femme un peu grosse et d’une
quarantaine d’années lui répondit affirmativement sans lui prêter un grand
intérêt.
De son sac il sortit un disque d’Yves Montand de l’année
1981 lors d’un concert à l’Olympia de Paris. L’effet fut presque immédiat.
Quand un amour fleurit
Ca fait pendant des s'maines
Deux coeurs qui se sourient
Tout ça parce qu'ils s'aiment... » (à Paris)
La voix virile, profonde et poétique du chanteur réussit
à rassembler les regards un peu discrets au début, mais plus sympathiques
ensuite. La serveuse se regarda dans la glace, passa sa main sur ses cheveux et
défroissa sa blouse. Un client lui lança
un regard furtif tandis qu’elle fit semblant d’être occupée. Et puis le
chanteur continua :
« Dire que cet air
Nous semblait vieillot
Il me semble nouveau
Et puis surtout
C'était toi et moi
Ces deux mots
Ne vieillissent pas... »
(Dansons la rose)
A ce moment du concert, la serveuse était
assise à côté de celui qui la regarda avec intérêt. Un facteur
avec l’uniforme de La Poste s’était rapproché d’eux pour faire une photo avec son portable. Un couple qui passait dans la rue en voyant l’air si animé
rentra et demanda de la bière et resta avec la décision de continuer jusqu’au
soir. La coiffeuse qui avait arrêté de jouer avec son portable était entourée
par deux dames avec lesquelles elle riait de pleine dents.
Voyant que l’heure passait et que tout allait de mieux en
mieux, le jeune demanda la note. La serveuse arriva auprès de lui avec une
petite assiette sur laquelle il y avait un papier écrit et qui disait
« merci ». Le jeune gars lui sourit et laissa un pourboire et partit
sous les applaudissements des clients. « Revenez plus souvent !» entendit-il
quand il traversa la porte pour continuer son chemin.
Tout content de sa première intervention publique, il se
dirigea en dehors du village pour faire du stop. Il avait écrit sur une
pancarte « je vais n’importe où ». Des voitures conduites par des professionnels
passèrent sans le regarder. Avec ses cheveux longs, lunettes de soleil noires,
chemise entrouverte, pantalon raccourci et un chapeau qui couvrait une partie
de son visage, il avait une allure pas possible. « Un hippie », auront-ils
dit, probablement sans prêter attention. Un couple de retraités s’arrêta,
peut-être par pitié ou par curiosité. « Nous allons tout
droit pendant 100 km, est-ce que cela vous emmène à votre n’importe où ?».
« Bien sur », répondit le jeune gars.
C’était un couple adorable qui lui prêta l’oreille sans
difficulté. Lui, assit derrière comprenait les difficultés qu’ils avaient de se
trouver seuls, sans leurs enfants, déjà grands et avec leurs familles. Ils
parlaient des souvenirs fabuleux, d’un passé heureux mais lointain. Sur leurs
visages un air triste régnait. L’amour, ce magnifique trésor de la vie s’était
un peu évanoui avec le travail, les préoccupations et la croissance des
enfants. Tous seuls ils cherchaient une nouvelle opportunité pour se rencontrer.
Le jeune gars sorti discrètement un disque de son sac et leur demanda s’il pouvait écouter de la musique. Il mit « Tangos et Pasos célèbres» des sons nostalgiques espagnols qui chantent la vie, ses faux-pas, les trahisons et les réconciliations. En quelques instants le jeune gars vu par le rétroviseur une larme qui descendait sur la joue du vieux. La dame prenait la main de son mari. Au bout de quelques minutes le vieux a demandé s’ils pouvaient s’arrêter sur une aire de repos, pour étirer les pieds. Sur le parking ils sont sortis de la voiture pour s’embrasser et commencer à danser joue contre joue.
Le jeune comprit qu’ils avaient besoin du temps pour eux.
Il leur dit adieu en leur souhaitant bon voyage. Les deux vieux ont remercié ce
moment. Satisfait de cette rencontre il continua son chemin.
Il décida de trouver un coin au calme pour dormir à la belle étoile. Près d’une montagne il y avait un ruisseau et entre les chênes il installa son sac de couchage. Le disque argenté qui pendait du ciel éclairait les quatre coins de la terre. Un hibou faisait le gardien de cette nuit tiède et tendre. Après un premier sommeil, il se réveilla au milieu de la nuit. Monsieur hibou le salua avec un chant mélodieux par courtoisie. Un petit renard leva ses oreilles en entendant les pas du jeune gars. Les mains dans les poches, il regarda la vallée illuminée par la lune. Il mit la musique de « Los calchakis » doucement pour ne pas déranger la nature qui dormait. Les flutes indiennes sonnaient magnifiquement jouant avec le vent qui descendait de la montagne vers la vallée. Dans son trajet, les sons berçaient la nature faisant chanter les cigales et les grenouilles. Le jeune gars ferma les yeux pour rester en communion avec le monde qui l’entourait. Et il récupéra son sommeil.
Le lendemain, il repartit pour une autre aventure. Il
passa près d’une école où il entendit les maîtresses et les profs qui vomissaient
des mots pour calmer les enfants assoiffés de culture et de vie. Il passa sa tête par une fenêtre d’une salle de classe et
il vit une maîtresse qui essayait à grande peine de
préparer une pièce de théâtre avec les enfants. Ils ne connaissaient pas
leurs rôles, les textes étaient trop longs et fatigants. Tout d’un coup il fit
des signes à la maîtresse afin qu’elle s’aperçoive de sa
présence. Les enfants se tournèrent pour regarder le jeune gars de grande
taille. « Madame, je vous propose une musique pour accompagner
votre pièce » dit le jeune gars d’une voix enthousiaste et sûre de lui.
Les enfants applaudirent et la maîtresse se vit obligée d’accepter. « Entrez s’il vous plaît », lui dit-elle
en ouvrant la porte. Il s’installa à côté de la maîtresse qui demanda aux
enfants de répéter leurs textes pendant qu’il chercha dans son sac un disque
sur « La musique d’Ennio Morricone », le grand musicien décédé
cette année.
Il comprit rapidement que la pièce de théâtre traitait d’un combat entre les habitants de
Le jeune gars sentait une émotion l’envahir avant de
quitter l’école mais il savait que sa décision était cohérente avec le chemin emprunté.
Il voyait la transformation que les gens expérimentaient lorsqu’il mettait la
musique. Mais, il fallait encore quelques jours. Il avait besoin d’une
confirmation.
Il allait dans ses pensées lorsqu’il traversa un camp d’immigrés.
Par l’accent il comprit qu’ils parlaient Arabe. Il
se rapprocha d’eux avec délicatesse. Ils étaient autour d’un feu et c’était
l’heure de la collation des enfants. Il s’est assis par terre et même s’il ne
comprenait pas un mot il les écouta avec religieuse attention. Ils constatèrent sa présence discrète et silencieuse et continuèrent imperturbablement
leurs activités. Ils étaient abattus par le décès d’un enfant qui n’avait
pas pu supporter la maladie. Il venait d’être enterré. La tristesse était
visible sur leurs visages marqués par la tragédie.
Les enfants se sont approchés et ils lui ont expliqué par les dessins ce qui leur était arrivé. Un silence triste parcourait le camp. Il sortit de son sac « El concierto de Aranjuez » de Joaquin Rodrigo. Il sélectionna le deuxième mouvement d’adagio. Les sons arabesques et les accords de la guitare touchaient les coeurs des personnes qui autour des dessins s’étaient réunies pour écouter cette musique. Tout d’un coup un homme âgé leva ses bras au ciel et en fermant les yeux il commença une lamentation improvisée à haute voix. Sans connaître un mot d’Arabe il suivait parfaitement bien les phrases de cet homme. Maintenant, à genoux, il exhala un grand coup et tous se sont mis à l’imiter. Quel beau geste d’humilité et de simplicité devant l’impuissance et la douleur. Il arrêta la musique avant le 3e mouvement. L’homme se rapprocha de lui. Il fixa le jeune gars et posa les bras sur ses épaules en lui disant :« merci, tu es le bienvenu ».
Il passa quelques jours avec eux et quand il sentit qu’il
était le moment de partir, il les invita à écouter le premier mouvement Allegro
con spirito. Ils avaient partagé la peine et la tristesse, sans savoir un mot
d’Arabe, il s’était mis à leur écoute. Il avait fait du pain, il leur avait
apporté du bois pour se chauffer et il avait compris combien ils aimaient leur
terre. Cette solidarité avec eux, simple et quotidienne était une source de
joie pour lui. Il se sentait rempli d’un esprit de fraternité. Et c’était aussi
le moment de continuer son chemin.
Le coeur du jeune gars avait beaucoup marché et dans
chaque rencontre il se sentait plus proche des hommes. Pendant les derniers
jours il sentait aussi que cette communion était possible grâce aux sons de la
musique. Il pouvait lire le coeur des hommes, leurs rêves, leurs frustrations
et leurs espoirs comme jamais quelqu’un aurait pu le faire. Cette sensibilité
était un point fort. Ses yeux regardaient ce que beaucoup ne pouvaient pas. Ses
pieds commençaient à sentir la fatigue.
Il passa près d’une chapelle en pierre où il avait une cérémonie. Il s’assit au dernier rang au fond. Personne n’avait repéré sa présence. Il voyait devant lui deux modestes jeunes comme lui qui s’engageaient en mariage. Dans leurs yeux , il y avait tendresse et espérance. Dans sa très grande sensibilité il avait envie de partager cette émotion avec la dernière musique qu’il avait dans son sac : « Le canon de Pachelbel ». Le prêtre interrompu ses prières en latin pour laisser la place aux violons. Les gens applaudissaient avec enthousiasme à l’interprétation.
Une fois la célébration terminée le curé s’approcha du jeune pour le remercier. Ensuite il lui dit : «que ta vie soit une musique pour l’humanité ». Il reçu cette phrase comme la dernière confirmation qu’il attendait. Il pouvait rentrer chez lui pour se reposer un peu et surtout dire à ses parents qu’il avait trouvé dans la musique un service qui le comblait. Une voix intérieure lui avait parlé dans un bistrot, dans une voiture, dans la montagne, dans une école, dans un camp d’immigrés et dans une chapelle. Il était plein de joie car il sentait qu’il avait grandi en humanité. Son coeur battait en paix.
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