L’école qui écoute la vie des jeunes
Dans la classe du collège, un élève au fond de la classe dit quelque chose qui déclenche le vacarme général. Je ne comprends rien à ce qu’il dit, mais les éclats de rire se répandent partout. Serein, immobile, je me laisse interpeller par les rigolades et mon regard se concentre sur un élève qui vient de soulever légèrement son masque. J’arrive à entendre : « -ouf, j’avais besoin de respirer un bon coup ». Je les laisse faire, le bruit est trop fort pour que je puisse le stopper. En quelques secondes, je me suis rappelé de mon collège d’enfance et moi faisant la même chose. Rire à pleines dents jusqu’à en pleurer. C’est un simple geste de vie derrière les masques qui couvrent nos visages, nos vrais visages. Quand le calme revient et tous les regards se focalisent sur moi en attendant peut-être une réprimande, je redis la phrase de l’élève qui m’a étonné. Tous les élèves me confirment leur difficulté à vivre une vie normale derrière leurs masques. Pour les rejoindre, je demande d’ouvrir en grand les fenêtres, de fermer les yeux pendant quelques secondes et d’enlever les masques pour ceux qui le souhaitent. Cela dure à peine cinq secondes, le temps nécessaire pour regarder pour la première fois le visage d’un élève. J’ai l’impression qu’en ce laps de temps, il gagne en couleurs, ses yeux s’apaisent et il prend une petite dose de bien-être.
Je reste avec la sensation d’avoir aidé le groupe à
rendre plus aimable la vie à l’école. Je quite la salle, pour me rendre dans un
autre espace. Je perçois une agitation qui
m’empêche de me concentrer. Je suis au milieu de la salle et sous mes yeux un
garçon
m’interrompt réitérativement. Il se plaint que la fille derrière lui a griffé
l’épaule. Je dois m’arrêter un instant pour régler la situation et le changer
de place. La tâche, simple, devient difficile, la classe n’approuve pas le
nouveau poste. Je reçois
des nouvelles protestations et d’autres en profitent pour me demander de les changer
de place. Après quelques instants pendant lequel je dois gérer le mieux
possible les énervements des uns et les plaintes des autres, je peux continuer
le cours. A la fin du cours, j’appelle la fille qui a griffé l’autre personne
de la classe. Je lui demande si elle est aussi à l’origine des problèmes. Elle
le reconnaît et aussitôt rajoute qu’elle a, elle même, des problèmes. Sans
nommer de quoi il s’agit, ses yeux deviennent brillants. Une larme tombe sur sa
joue. Malheureusement, le temps est court pour l’écouter mais je fais de mon
mieux pour la rassurer. Je me dis, qu’il va falloir que j’en parle à sa prof
principale.
Peu après, je vais dans une salle du lycée où je
travaille avec un petit groupe d’élèves. Nous sommes dans une salle où le soleil
traverse généreusement les fenêtres. Quelqu’un demande de fermer un peu le
rideau parce qu’elle reçoit
les rayons sur ses yeux. D’autres, demandent de tout fermer pour faire la
sieste. Une élève au fond de la salle me demande la permission de reposer sa
tête sur la table parce qu’elle ne se sent pas très bien. Avec un tel
enthousiasme, je me dis que nous avons tous besoin d’un peu de soleil. Je
propose d’aller trouver un coin dans la cour avec nos cahiers et nos stylos. Nous
nous installons sur le grand escalier qui descend à la cour. Sous les rayons du
soleil je sens que nos visages renaissent et que la participation est plus
animée. Celle qui avait mal à la tête, change complètement, elle se redresse
tendue vers le soleil, comme une fleur accueillant la chaleur du matin. Les
élèves sourient derrière leurs masques et ils se tiennent droits.
Pendant la première vague épidémique j’ai été épargné
chez moi de toutes les contrariétés et les difficultés que les jeunes vivaient.
Maintenant, je peux constater que leurs vies passent des moments difficiles.
Privés de fêtes, de manifestations culturelles et de rencontres, on leur
demande de savoir répondre aux exigences académiques et de faire face à un
avenir qui se montre incertain. Ils sont démotivés et en colère, avec raison.
Ils perdent une partie de leur vie enfermés derrière leurs masques. Dans ce
moment, si dur que nous traversons, il me paraît que le premier service que doit
rendre l’école est celui d’écouter et d’accueillir la vie qu’il y a en eux et
qui plaide pour plus de tendresse et d’imagination.
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