Les hommes et les femmes attachés à leurs racines dans la saga « Sous le soleil des Andes » de Claude Michelet.


L’homme comme les arbres, lorsqu’il s’établit dans un lieu, essaie que ses racines s’enfoncent au fond de la terre. Avec chaque génération nouvelle ses branches s’élargissent et sous son ombre les nouveaux nés sont prêts à écouter les histoires des aïeux.
L’être humain n’a pas cessé de marcher d’un bout à un autre de la terre en cherchant un lieu pour poser ses bagages. Je dépasse les 50 ans et je découvre que tous les 5 ans j’ai changé de résidence. Il y a eu des périodes pendant ma jeunesse où j’ai déménagé deux ou trois fois par an. Cette introduction me permet de présenter un auteur français qui nous emmène avec ses personnages sur des terres lointaines. Migrants dans l’Amérique du Sud, deux couples français cherchent une nouvelle vie où leurs familles vont grandir et les projets les mèneront à vivre des aventures passionantes. Séparés par 14 000 km de distance de la France, ces personnages doivent apprendre la langue et les habitudes du pays sans pour autant oublier d’où ils viennent. L’auteur porte son intérêt sur la question des racines qui nous attachent à une terre, une langue et des traditions.
Dans un de ses ouvrage nous lisons :
-           « ...c’est bien ce que lui avait dit son grand-père : « C’est important de savoir d’où on vient, ça donne des racines. Et les racines, ça permet de bien résister ! » Avant d’ajouter une phrase que Christian avait mal interprétée : « et ça permet aussi de se tenir fier !
Il avait d’abord pensé que tout cela était un peu outrecuidant, que la fierté avait certes du bon, mais qu’il fallait quand même pas en abuser, sous peine de passer pour l’individu le plus prétentieux de la création ! C’est Jo qui avait éclairé sa lanterne, dans un de ses habituels rires en cascades :
-          Tu, n’as rien compris ! Fier, chez nous et employé comme le fait grand-père, ça signifie pas orgueilleux, comme tu penses !... Fier, chez nous, ça veut dire solide, en bonne santé morale et physique, debout comme un chêne, en pleine forme, fier, quoi [1]».
Claude Michelet, ancien agriculteur corrézien, fils d’Edmond Michelet, ministre du général De Gaulle, est l’auteur de plusieurs romans qui racontent la vie des gens de la terre. Sa production littéraire commence à la fin des années 70, et elle a connu le succès avec la saga d’une famille d’agriculteurs au XIX siècle (Des grives aux loups). Ce Chevalier de la Légion d’Honneur a été distingué avec différents prix littéraires. Pour arriver à une telle reconnaissance il a le mérite d’une belle écriture, des personnages attachants et des aventures dans un cadre historique porteur. En effet, au XIX siècle la population habite davantage dans les milieus ruraux et au coeur de ce progrès moderniste ces personnages doivent se déplacer de leurs terres pour trouver du travail ailleurs. Ils doivent faire face aux événements de toute sorte et lorsque l’existence les met devant leurs limites, ils recupèrent leurs traditions, leurs chants et la sagesse des aïeux.
La saga « Sous le soleil des Andes » de la famille Leyrac nous transporte au Chili en Amérique du Sud, le pays de mon origine. Dans Les promesses du ciel et de la terre (1985), les couples formés par Antoine Leyrac et Pauline, Martial Castagnier et Rosemonde, partent en 1871 au Chili pour construire une nouvelle vie en faisant du commerce. Installés à Santiago, ils parcourent le pays pour vendre des marchandises et les femmes gèrent la boutique « La Maison de France », avec des produits alimentaires, de la couture et du vin importés de France. L’auteur nous surprend avec une histoire passionante dans le désert d’Atacama, le plus sec du monde. Pour quelqu’un qui aime la campagne il fait preuve de créativité pour décrire un paysage hallucinant. Il n’oublie pas les sensations qu’expérimentent les français lorsque la terre bouge. Ces tremblements de terre imprévisibles, parfois très courts et d’autres interminables et destructifs prennent une place importante dans les romans de l’écrivain. Avec astuce, un sens d’aventure et surmontant toutes les difficultés les personnages arrivent à trouver un chemin d’épanouissement, sauf pour Rosemonde qui a besoin de retourner en France avec sa fille.
Dans le deuxième roman, Pour un arpent de terre (1986), Antoine gère 28 000 hectares d’une hacienda au sud du pays et continue à contribuer à la Sofranco, une société commerciale créée avec Martial et d’autres et qui développe des projets miniers dans le nord. Nous assistons à une nouvelle aventure dans le désert et au milieu de la Guerre du Pacifique (1879-1884) qui a opposé le Chili contre le Pérou et la Bolivie. Il narre avec habilité l’arrivée de l’armée chilienne jusqu’à Lima en 1881 avec une histoire d’amour entre un nouvel associé de la Sofranco et une femme péruvienne. Il ouvre nos yeux sur Panamá et la construction du canal qui démarre aussi une nouvelle ambition pour la Sofranco.
Dans le troisième roman, Le grand sillon (1988), Michelet nous émerveille avec  l’histoire de la construction du canal de Panama. Martial, en accord avec Rosemonde, repart pour participer à cette oeuvre gigantesque où tant d’hommes ont trouvé la mort et l’épuisement. Lui même doit lutter contre les maladies, le climat, les bêtes et une terre qui pose des énormes difficultés pour l’ouverture du canal. Sur le plan économique, le projet français est un gouffre financier et les retards sur le chantier créent des doutes sur l’avenir. Les Leyrac, après 17 ans au Chili, prennent la décision de faire un premier voyage en France ce qui donne la possibilité d’installer leur aîné qui commencera ses études supérieures dans l’École d’Agriculture de Montepellier.
Pendant ce voyage le thème des racines françaises des parents vont donner lieu à des beaux échanges avec les enfants, plus grands, maintenant. Par exemple, sur le bateau et voyant la côte française, les parents sentent une émotion que les enfants n’arrivent pas à comprendre. Antoine leur dit :
-          « Vous ne pouvez pas comprendre, dit-il. Mais peut-être qu’un jour, vous aussi vous pleurerez en revoyant les côtes du Chili. Vous pleurerez en retrouvant Concepción ou Valparaíso car, pour vous c’est peut-être le Chili votre pays. Celui qu’on trouve le plus beau du monde, le plus attachant. Celui vers qui on aime toujours revenir. Pour votre mère et moi, c’est la France, pour vous, je ne sais pas. Mais je crois que c’est maintenant, dans les mois qui viennent, que ca va se décider, et pour toujours[2] ».  
En m’appuyant sur ce passage, je reviens sur mon expérience d’avoir quitté le Chili pour venir m’installer en France. La dernière fois que j’ai regardé la cordillère des Andes par la fenêtre de l’avion j’ai senti l’angoisse de me réveiller le lendemain sans pouvoir aller visiter mes proches et les embrasser. Le sang circulait à tout allure et les pieds marchaient lentement essayant d’emporter le plus petit caillou accroché à la semelle des chaussures comme le plus grand des trésors. Sur cette terre nous avons fondé une famille et ma femme est devenue chilienne d’adoption. Maintenant, cette terre nous voit partir entre larmes et l’espoir d’une nouvelle vie en France. Et nous nous interrogeons sur quel pays nos enfants décideront de s’installer, le Chili de leur berceau ou la France de leur études supérieures ? Et sur quel pays voudrions-nous être enterrés ? Difficil de répondre pour le moment.
Ayant vécu 25 ans au Chili, le temps de voir grandir nos enfants et de multiplier nos projets et les amis, ce départ pour la France est un vrai voyage de découverte. C’est un défi qu’un jour ma fille ainée devra se poser lorsqu’elle montrera le pays de son enfance à sa fille. Le dialogue entre Antoine Leyrac et son fils aîné devient une évidence :
-          « Tu vois, dit-il, un peu plus tard à son fils, quand on revient, même après longtemps, dans un endroit qu’on a bien connu, on croit que rien n’a changé, que tout est pareil et qu’on retrouve la vie telle qu’on l’a laissée. Mais ce n’est pas vrai, plus rien n’est comme avant. Ce qu’on croit voir, c’est un mirage »[3].
Il y a quelque chose de très lourd qui n’entre pas dans les bagages et qui rempli bien des volumes d’histoires dans la bibliothèque de la vie. Ce sont nos racines, nos modes de penser, les goûts de la terre, les blagues et les mots difficiles à traduire et qui sont ancrés dans les tripes. Faisant mémoire de tous ces événements et reconnaisant les valeurs qu’ils portent il est possible de donner et de recevoir une excellente nourriture pour construire une harmonieuse intégration culturelle. Reconnaître « d’où je suis » et « qui je suis »; des questions qui nous accompagnent tout au long de nos vies et pour y répondre il est important de réfléchir sur nos origines.
C’est ce qui va se passer dans le quatrième ouvrage La nuit de Calama (1994), où Christian Leyrac, quatrième génération des Leyrac, part au Chili avec un collègue, pour un reportage en 1979 en pleine dictature. Ils sont arrêtés par les militaires, suspectent d’espionner les installations de la mine de Chuquicamata. Emprisonnés, Christian nous invite suivre les traces de son père, qu’il n’a pas connu. La prison de Calama sera pour lui un lieu pour se souvenir de ce qu’a pu vivre son père résistant pendant l’occupation allemande en France.
La plume de Michelet nous dessine avec délicatesse les paysages et l’envie d’aventures de ses personnages. Nous comprenons que pour un agriculteur la terre représente plus qu’un lieu pour vivre ou pour se servir d’elle. Le pin parasol des Fonts Miallet de sa Corrèze, qui symbolise l’attachement à une terre, est le rêve de tous les enfants qui y grimpent pour scruter l’horizon. Cet attachement permet aussi de découvrir la culture et les traditions, le langage et les chants d’enfance. Dans le rythme naturel du soleil et des saisons il se joue l’équilibre de la vie que parfois, la modernité nous enlève. Le travail et le jeu, les repas et les promenades, sont un ressourcement que la nature nous prodigue. L’émerveillement simple et pur du naturel nous permet de vivre les promesses du ciel et de la terre.



[1] La nuit de Calama, pag 32.
[2] Le grand sillon. Page 259.
[3] Le grand sillon, page 308

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